Sunset Paradise

Avec six photographies d’Olivia Fougeirol. Exils, 141 p., 16 €

Le Monde des Livres

Par Fabrice Gabriel (29 avril 2022)

Sophie-Anne Delhomme avait fait paraître en 2010 un premier roman très personnel, Quitter Dakar (Rouergue), où l’on découvrait sa voix sensible, presque torturée parfois. On la retrouve aujourd’hui sur un autre continent, dans la ville dite « des Anges », pour un livre-dispositif qui joue avec force et subtilité de la forme fragmentée… Son titre, Sunset Paradise, laisse entendre un éden couchant, et c’est en effet un peu de la détresse humaine qui est saisie à Los Angeles à travers l’objectif de l’artiste Olivia Fougeirol, inspiratrice du livre, qui photographie depuis plusieurs années les figures de homeless et passants divers. Il en résulte un texte immédiatement captivant, dont on oublie volontiers les ambitions documentaires ou sociologiques pour retenir l’art de la miniaturiste accordant sa prose aux mille « choses vues » de la rue, harmonisant les pauses et mouvements de son écriture au rythme d’une ville-monde dont elle réussit à rendre les vérités ambiguës.— 

En attendant Nadeau
Les laissés-pour-compte de Los Angeles

Par Marie Étienne (23 avril 2022)

C’est l’histoire d’une écrivaine, Sophie-Anne Delhomme, qui croise une photographe, Olivia Fougeirol, une ville, Los Angeles, et son peuple de paumés. Elles se lient d’amitié. L’écrivaine écrit sur les paumés de la photographe qui sont aussi ceux de la ville.

On peut dire que c’est la photographe, Olivia Fougeirol, et ses photographies qui ont inspiré le livre de Sophie-Anne Delhomme. D’ailleurs, quelques-unes y figurent. Mais en même temps on ne peut pas dire que le texte de l’une illustre les photos de l’autre. Ou l’inverse.
Leur association a ceci de plus intéressant que la photographe, Olivia, est non seulement la stimulatrice du livre mais qu’elle en est aussi l’héroïne. Elle en est le personnage principal, ou fédérateur. C’est autour d’elle que s’organisent les figures d’un ballet, le ballet qu’est le livre, son sujet. Olivia est par conséquent à l’extérieur des pages aussi bien qu’à l’intérieur. Regardeuse et regardée. Instigatrice et reproduite. Maîtresse du jeu et manipulée, ou, du moins, car le mot est trop fort, captée à son tour, prise en photo par les mots et enfermée dans le livre.
Le projet et sa réalisation a cette première originalité. La seconde, c’est son organisation. Une série de fragments, qu’on peut dans un premier temps considérer comme des « pastilles », et puis finalement qu’on qualifie, si on les examine, si on les lit vraiment, de photographies écrites (en cela des rivales des clichés d’Olivia), celles d’un paysage urbain multiple, impossible à fixer autrement qu’en séparant, qu’en isolant au moins quelques-unes de ses composantes. À savoir, des humains en transit, sans abri, en quête d’une maison, et au moins de quoi vivre, ou survivre.
C’est pathétique et drôle. C’est tendre et c’est terrible. C’est une façon d’envisager la Cité des Anges sous un autre angle. Le titre le rappelle. Non pas, comme on s’y attendrait, Sunset Boulevard, mais Sunset Paradise, plus explicite encore. Le crépuscule d’un paradis, la fin du rêve. « Need a miracle », propose une pancarte tendue par un de ces paumés.
Les personnages semblent parfois sortis de nulle part. Ce qui est vrai, si nulle part est la marge dans laquelle ils survivent, dans laquelle ils paraissent parqués, sous un ciel envahi de corbeaux. En vérité, ils sont comme aimantés par certains lieux. Il y a l’autoroute, non loin de là la plage, la mer, le shelter dans lequel ils refluent pour dormir, et surtout le salon de coiffure en plein air, qui vient régulièrement s’y installer, couper gratis cheveux et barbes à femmes et hommes, enfants.
Olivia, la photographe, y trouve inspiration et matière à clichés. En fait, elle se sent proche d’eux, itinérante comme eux, « elle travaille sur la solitude, la sienne et celle des autres ». Elle n’a qu’un seul point fixe, qu’un objet qui la tienne, son appareil photo. « Elle serait morte sans l’art. »
Sophie-Anne Delhomme voit avec ses yeux à elle, à travers ses photos et probablement ses récits. On ne sait si elle-même a rencontré ceux dont elle parle. Mais peu importe, elle en parle si bien.
On fait, grâce à ses mots, la connaissance de ceux qui luttent encore : « Il est musicien. Ce qui est important c’est que son crâne soit bien rasé autour de son chignon blond. Il a toute la vie devant lui pour réussir mais il faudrait que ce soit maintenant. Il est fauché, c’est chiant. »
De ceux qui n’ont plus d’espérance : « Elle est arrivée là, toute seule, au bout de cette pelouse de terre et d’ordures, après un périple dans une géographie de ponts, de friches, de soubassements. Elle attend quelque chose, c’est écrit sur la pancarte qu’elle tient contre elle et qui fuit dans le rétroviseur. Anything. »
Des éblouis naïfs : « La plage est à deux blocs, blonde elle y court musique aux oreilles, queue de cheval qui danse, jambes dorées bondissant de son tee-shirt rose. »
Des animaux : « C’est un coyote, il est mort. À moins qu’il ne dorme, la bouche dégorgeant de groseille. À moins qu’il ne s’abandonne aux chauds rayons du soleil, allongé sur l’un d’eux, striant l’asphalte d’une large ligne rosée par le sang qui colore la fourrure de son ventre doux. »

David. Photo Olivia Fougeirol

Mais le plus renversant n’est pas là. « Olivia l’a vu la première. Elle raconte la stupeur, et même la peur qui a saisi l’assistance, elle a pensé Wouahou ! elle a pensé c’est lui, The One. » Pour elle, il est la beauté. « Le regard très bleu derrière ses lunettes noires, grimaces, figures tourmentées, un théâtre à lui, il est David le héros qu’elle attendait. » Pour tous, il est un ange qui a perdu ses ailes, un sacrifié, un crucifié, « de l’escarre d’écorché ».
David habite le livre comme l’esprit d’Olivia, sa présence est trop forte pour qu’on l’oublie, qu’on s’en débarrasse ; il disparaît soudain comme il était venu, il fait défaut, il manque. « Olivia y voit l’essence même de la réalité des homeless. Volatile, transient. C’est là et ce n’est plus là. » Il reste de lui des photos, que David n’a pas vues, qu’il n’a jamais demandé à voir. « Agité, souffrant, David offre à l’objectif ses contours douloureux. Autour du cou, le gilet de sauvetage rafistolé, deux pneus VTT, un câble de caoutchouc, du scotch. »
On peut voir la photo de David dans le livre, on peut voir les lunettes et le gilet de sauvetage qui paraît l’étrangler, la bouche ouverte, pour quoi ? un cri ? Olivia parle de sa beauté, chacun de sa douceur, de sa bonté. Un ange. Mais à Los Angeles le paradis n’est pas pour lui. —

Artpress

Par Annabelle Gugnon (avril 2022)

Los Angeles est la ville du rêve. Sophie-Anne Delhomme y a vécu, y a rencontré les homeless, y a écrit Sunset Paradise, un livre où se croisent les désirs déçus de ceux qui sont « venus faire leur ange à Los Angeles » et qui y ont trouvé le bas-côté d’une route d’errance. Ils y ont trouvé aussi la solidarité des coiffeurs bénévoles qui, chaque samedi, coupent gratis au shelter de Santa Monica. C’est là que Sophie-Anne Delhomme a recueilli dans une langue tout en poésie les bribes de vies qui composent la rhapsodie de micro-fictions qu’est Sunset Paradise : « Inuit égaré au soleil, il vient d’Alaska… » « Amélia veut très court. [Elle] remercie, récupère son chariot et pesamment retourne dans la rue. » « Jairus attend qu’un météore lui tombe sur la tête, c’est une blague. Il est dans la rue depuis onze ans… » « Beau gosse, mèche blonde, tatouage, Tony Beach Boy […] habite sur la plage de Venice. »

L’auteure n’est pas arrivée seule au shelter de Santa Monica. Elle y a rejoint Olivia Fougeirol qui photographie depuis des années les clients sans-maison de ce salon de coiffure de fortune.
La photographe est l’héroïne principale du livre et la sortie de Sunset Paradise est accompagnée d’une exposition des photos d’Olivia Fougeirol à la galerie Hug. L’accrochage à même le mur, en une manière disparate presque sauvage, remet dans leur ambiance urbaine initiale les chairs tannées et tatouées, les éclats de carrosserie, les fleurs d’autoroute…

Ces images d’Olivia Fougeirol rejoignent le texte de Sophie-Anne Delhomme pour demander sous l’égide du poète de Harlem, Langston Hughes : « What happens to a dream deferred ? » [Qu’arrive-t-il à un rêve différé ?] Se dessèche-t-il ? Explose-t-il ? Mis en exergue de Sunset Paradise, ce poème déplace chacune des vies décrites par Sophie-Anne Delhomme du singulier vers l’universel du désir. —

ANNEXES

Purple MAGAZINE
— The Los Angeles Issue #30 F/W 2018
David Jones

Photography and introduction by Olivia Fougeirol
Text by Sophie-Anne Delhomme
Translation by Peter Behrman de Sinety


I met David in the shelter, where I have three friends who give free haircuts on Saturdays. I’ve been taking portraits of their customers for the past 10 years. One day, David appeared — straight out of a Mad Max movie. I asked him if I could take his picture. He thanked me, said yes, and from then on, every time he came, which was regularly for five years, we did portraits. He’s not very talkative, likely a veteran but not willing to speak about anything too personal. At the beginning of the month, with the little money he gets from the government, he rents a motel room to rest for a night or two. I once ran into him at the 99 Cents store on Fairfax, where he was shopping for sardines and beef jerky. David spends most of his time in the Valley, but also travels great distances on his bicycle. He’s subject to epileptic episodes, which is a major reason for all the protections he wraps himself in, in case he has an attack while riding his bicycle, his “raft.” David is a very gentle person, with the bluest eyes and the most incredible style. An artist, shipwrecked, in LA. — OF

Photo Olivia Fougeirol

Olivia saw him coming before the others. The shelter was crowded that day; you could feel the worry in the air as he arrived helmeted in plastic bags and fluorescent tape, equipped with a life vest, knobby tires, rubber tubes. Long strides. A quick lap around the little space reserved for the barbers. Costume or straitjacket? That day, she sneaked a photo of him.

The next Saturday, after his shave, he agreed to have his picture taken. Grimaces, tortured looks, a one-man theater, keen blue eyes behind dark glasses. Week after week he came back, spoke little, said thank you, always went away in a hurry, except sometimes when he lay down exhausted beside his bicycle. His raft, all done up in his image with foam and fluorescent tape, debris, rags to protect him from the sun, from others, from himself. Prince of castaways, he never parted with his life vest, his bracelet supply of Scotch tape to keep his rig together. One photo after another, he’s David, the hero she’s been waiting for.

For five years, Olivia photographed David at their meeting place, the Santa Monica shelter barbershop. One day, he didn’t show up. She had spoken to him about the book she was preparing; she couldn’t tell if there was a link. Maybe it was time for him to move on. He had given her permission to use his image, in beautiful handwriting signed “David Jones Transient.” She also knew he came from the Valley, a long way even by bicycle, and that he wasn’t young. On the cover, she framed David’s bare legs, stretched out on the concrete of the shelter; they bear the stigmata of the street. Of the fulminate of a ripe volcano, of trance-stone, of patience, of tumors, of cooked tumors, and of the bed-sores of a skinned man. She thinks of the texts of Antonin Artaud. The weeks go by; she hopes he isn’t lost forever. Ah give us skulls of embers / Skulls scorched by the sky’s thunderbolts / Clear skulls and real skulls / Skulls pierced by your presence. David, bare-skulled after a session at the shelter, eyes cast skyward, irises blank. Where are you? SAD

Quitter Dakar

Quitter Dakar (publication originale)
Collection La Brune
Editions du Rouergue/Actes-Sud Editeurs associés, 2010

Quitter Dakar (seconde publication)
Collection Mondes en VF Editions Didier, 2012

lacauselitteraire.fr

Par Théo Annanissoh* (mars 2011)

Quitter Dakar, c’est en fait y revenir. Quitter, revenir, ces mots qui s’imposent ainsi d’entrée de jeu indiquent ce qui caractérise le roman de Sophie-Anne Delhomme : le mouvement. De bout en bout, c’est un va-et-vient permanent ; va-et-vient entre la France et le Sénégal, mais aussi allers et retours entre le présent et le passé, entre la réalité et l’imaginaire, entre un je et un il qui, alternativement, se relaient pour raconter. Roman tout en déplacements donc, sans agitation toutefois, mais en quête ; de quoi ? De la mère, de soi, de la vie qui fut la leur, au garçon et à la mère, dans ce pays d’Afrique.
Manuela, c’est le prénom de la mère. Elle est décédée en 1985. Littéralement – le cliché force la main pour ainsi dire –, elle a l’Afrique ou, si l’on préfère, le Sénégal dans la peau. Elle y vit avec son fils dans la maison du Point E et possède une boutique qui va faire faillite. C’est un personnage complexe, comme du reste tous les autres de ce beau roman. On hésite à la définir d’une expression qui pourtant, là aussi, semble s’imposer : mère irresponsable. Les nuits, souvent, le jeune garçon doit se débrouiller seul pour trouver le sommeil dans la grande maison, à peine veillé par une bonne pendant que la mère rejoint un amant dans un night-club de la capitale sénégalaise.
L’adulte qui revient ainsi sur les lieux de l’enfance se souvient calmement de chaque épisode. Par exemple de cette nuit où il sort de son lit, et finit par s’endormir dans le placard. Personne ne le cherche. Il sera réveillé par les bruits que font la mère et son amant en rentrant.
« L’homme l’avait reprise par la taille et l’avait entraînée en lui caressant les fesses. »
Le roman de Sophie-Anne Delhomme foisonne de ces détails d’une enfance bien particulière du fait de la personnalité d’une mère dont la passion pour cette part d’Afrique trouble et fascine. Mère « fantasque » et « solaire » comme la définit la quatrième de couverture ? Sans doute. Cette mère qui, pourtant, lorsque son garçon se cache de tous pendant des heures, crie et dit qu’elle « se tuerait si elle devait encore passer une nuit sans son fils » !
Rentrée en France en juin 1973 avec son fils, la mère, chaque année en avril, retournera seule au Sénégal passer une « quinzaine ». Retrouver Dakar lui fait un bien littéral. « Loin de Dakar, elle se fanait comme une fleur. Chaque année, elle économisait pour y retourner, elle en revenait vivante et mourait peu à peu jusqu’à l’année suivante. »
Des années après le décès de cette mère, le garçon, devenu adulte, déambule dans Dakar et ses environs, revisite ces lieux qui revitalisaient tant sa mère. Il retrouve les hommes et les femmes qui entouraient autrefois la mère. Rencontres presque toujours décevantes, troublantes en tous les cas, que le narrateur appréhende à juste titre, craignant sans cesse que – belle expression d’un sentiment ! – « quelque chose ne (lui) explose à la figure. » Quitter Dakar est un surprenant récit tout en sensibilité ; rien n’y est affirmatif ou vindicatif, même lorsque les personnages ou les souvenirs sont rudes, extrêmement rudes. C’est un récit de soi, de ses sentiments, forts, intenses, douloureux, fait avec une économie dans le style, une pertinence des mots qui donnent à ce premier roman un admirable cachet de réussite.—

*Ecrivain togolais né en 1962. Auteur de romans publiés chez Gallimard Continents noirs.

www.culturessud.com
La nostalgie fissurée

Par Lionel Manga (juillet 2010)

Un homme, « pâle résidu », arpente Dakar. Entre un « je » en propre, un « il » partagé et un « nous » douloureux, fissuré, c’est un revenant. En l’occurrence un Blanc qui revient en « pèlerinage » au lieu d’une partie de son enfance avec sa mère. Une Manuela qui est le personnage central, une absence pivot du premier roman de Sophie-Anne Delhomme. Le récit s’ouvre d’emblée sur un panorama qui donne froid dans le dos et, pour ainsi dire, donne le ton de la suite, comme une claque monumentale, dans cette chronique de la nostalgie irrémédiablement fracassée : « Il n’y a plus rien. Ou pire, d’affreuses plaies grossièrement pansées au béton armé. Rasés la paillote, le restaurant terrasse. Brûlés la décoration de palmes et de bougainvillées, les parasols, les chaises longues. Disparus l’aquarium aux langoustes, les serveurs en tenue blanche, le barman plein d’entrain. Enfuis les brillants convives. Crevés les lauriers-roses, les filaos. Défoncés les courts de tennis ». Bienvenue au club qui n’a rien de Méditerranée : zéro GO.
Manuela est une énigme ouverte qui « descendait tous les ans à l’hôtel de N’gor », un fleuron, « une quinzaine en avril ». Et puis « elle a cessé de venir » pour une raison toute naturelle : Manuela « était morte en France, au lieu d’être en avril sur ce rivage aimé » où lui revient seul, « sans elle, aujourd’hui ». Après qu’il eut « tout mis de côté » quand elle était décédée : chagrin, souvenirs, « le temps a passé » et l’envie lui est un jour venue « d’aller voir » dans ce fouillis d’une vie antérieure. Il a trouvé des « traces inertes », « des agendas, des lettres, quelques photos, [ses] dessins d’enfants » du temps où ils habitaient au Point E et que « la voix désolée du muezzin poissait ses rêves […] et tourmentait son sommeil ». Cette mère qui « aimait faire la fête, c’était jamais la dernière pour la java », avait acheté une chèvre pour lui tenir compagnie, qu’il baptisa René, du prénom de son grand-père adoré. Il est aussi « question d’un homme qu’elle aimait beaucoup et qui la rendait malheureuse ». Pâle-Résidu est en quête de protagonistes qui lui racontent cette mère disparue, aussi noctambule que fantasque. Un désir éperdu de reconstitution l’habite, comme un passage obligé pour faire le deuil de Dakar et tirer un trait sur la ville de Djibril Diop Mambety.
Autour de ce tandem mère-fils, l’auteure fait graviter une poignée de personnages fonctionnant comme autant de lucarnes ouvrant sur ce passé qui hante le pèlerin et colle à sa vie d’adulte. Entre le « vieux monsieur Licart, le short blanc, les chaussettes montantes » qui n’est pas retourné en France depuis belle lurette et dit vouloir « crever » là, Prudence, la bonne mystérieuse qui « avait ses humeurs », « était absente quelque fois », et le « taquinait pour le faire enrager » sur le chemin de l’école, un baobab squatté par un génie facétieux qui afflige ses victimes de mutisme, la petite fille des voisins : les Maréchal, Tierno qui y travaillait et le reconnaît dans la rue, l’invite chez lui, dans cette galerie, Vivi pour Vipère incarne quelque part une hypothétique rédemption, la possibilité pour Pâle-Résidu de « trouver le rêve de son histoire », et de tourner la page pour se retrouver avec « la vie devant lui » tout bonnement. Avec ce texte qui se déroule sur cent quarante et une pages distribuées en vingt-huit brefs chapitres, Sophie-Anne Delhomme signe là un petit livre attachant sur la mélancolie de rien n’est plus comme avant, pour peu que le lecteur se laisse prendre au rythme saccadé, haletant de cette narration se donnant souvent en mode intime, diary, et flash-back. Non sans laconisme teinté d’amertume, parfois.—

La quinzaine littéraire
Magies dakaroises

Par Marie Etienne (mai 2010)

Quand on connaît Dakar et qu’on y a vécu, on a le sentiment étrange, lisant ce livre, d’y retrouver exactement ses propres souvenirs – les lieux, les animaux, les plantes et les occupations, tout est exact, et similaire…
On est saisi d’un trouble dès la première de couverture. En haut, deux photographies presque identiques, un visage de femme, métisse, belle et souriante, qui fume une cigarette. Tout de suite, en dessous, collés aux photographies, le prénom et le nom de l’auteur. On associe évidemment les deux, on pense à une biographie.
Et puis, lisant, on s’aperçoit que l’héroïne est un héros, le narrateur, tantôt petit garçon, obligé de partir de Dakar, emmené par sa mère, la blonde Manuela, et tantôt l’homme jeune qui revient, après la mort de celleci, à la recherche de ses traces. Lesquelles le mènent à d’autres, à celles de Prudence, la Sénégalaise. Au croisement de ces deux femmes, une troisième, la fille de Prudence et de Licart, un “ toubab ” de Dakar, Viviane Véronique Deng, qui insiste volontiers sur les rapports de son prénom avec “ vipère ”. Elle cherche aussi Prudence, sa mère, dont le visage, l’auteur nous en informe, est en première de couverture.
Le récit, on le voit, est une quête d’identité construite avec rigueur, et que les dernières phrases du livre n’achèvent pas : “ … je vous cherche, madame, dans tous les quartiers, dans les transports et dans les squares… Tous les jours, je marche dans la ville et sa périphérie… ”.
C’est que, contrairement à ce que paraît dire le titre, on ne quitte pas Dakar. On le souhaite, on s’en va, en effet, et puis on y revient, par la pensée, ou en chair et en os. On y revient et on y cherche quelque chose d’essentiel : l’enfance, certainement, une ville prégnante, dans laquelle le garçon déambule et qui nous est, sinon décrite, du moins restituée avec fidélité : le “ Point E ”, le marché Sandaga, la place de l’Indépendance, le musée de l’Ifan, et ses abords, le marché artisanal de Soumbédioune, Rufisque, l’île de Gorée, la plage de N’Gor, des Almadies, le phare des Mamelles…
Ces lieux bien sûr sont habités, par des toubabs, qui restent, comme Licart, ou qui s’en vont, comme Manuela. Et par des Africains, domestiques des premiers (c’est le cas de Prudence, de Thierno), vendeurs à l’étalage, chauffeurs de car ou de taxi, voisins, gardiens, passants, une population présente, humainement présente, sans insistance, sans parti pris d’aucune sorte, au point qu’on se demande (et on revient alors à la quête ou l’enquête amorcée) qui a écrit le livre. Ce n’est pas la métisse, qui fume et rit, nous l’avons dit, d’ailleurs prénom et nom sont bien français. Et là encore, un trouble, et un indice. Le narrateur, petit garçon, jouait avec une fillette, une prénommée Sophie, comme l’auteur. Tiens ! Tiens ! C’est à la suite d’un drame initié par Prudence que l’un et l’autre s’en iront, retourneront en France.
Ayant dit tout cela, l’essentiel n’y est pas. Par exemple la qualité d’un romanesque très particulier, constitué de la réalité et d’autre chose qui s’infiltre, qui sourd des paysages et des événements. Les deux sont associés comme le sont les deux côtés d’une pièce de monnaie. Une “ autre chose ” qu’aucun mot ne peut exactement nommer ni rendre, qui tient de la magie, du fantastique, mieux que cela encore : qui est l’envers du visible, sa profondeur, et qui se manifeste si naturellement qu’on ne peut pas ne pas y croire. Qu’on subit les effets, pareils aux effluves d’un philtre, d’un crépuscule, d’une vapeur sur la mer, d’une rencontre fortuite, du charme violent de certaines femmes, surtout celles du triangle composé par les deux mères, Manuela, Prudence et Viviane la plus jeune, triangle dans lequel le narrateur se trouve captif.
De sorte que ce dernier est atteint par un mal, convoqué par un sort, que traduisent les deux phrases qu’il prononce, contradictoires et décisives : “ J’étais l’Afrique ” et “ Je n’étais pas d’ici ”. Une manière d’exprimer l’irréversibilité : on ne va pas innocemment vivre là-bas sans y laisser, à jamais, quelque chose de soi. Sans avoir échangé, avec ceux qui demeurent, peut-être une part de son identité ? —

Extrait
“ Le petit baobab paraissait bien embêté (raconte le petit garçon), il restait tout à fait immobile, sauf le bout de ses petites feuilles qui remuait gentiment. Un monsieur s’était assis sur lui, qui attirait les gens pour leur manger la cervelle. Prudence nous avait prévenus. Son père, un jour, en rentrant de son champ, en avait rencontré un qui l’attendait assis dans un manguier, avec des lunettes noires et une voix de griot. Le père de Prudence n’avait plus jamais parlé, ni à elle ni à personne, après qu’il eut croisé ce monsieur-là au retour du champ.
Mais pour nous c’était différent et nous le savions bien. Comme nous étions de France, nous les petits toubabs, ce monsieur ne pourrait pas sucer notre cerveau, c’était interdit par notre président. ”

Annexes

Leaving Dakar

Book description

Traduction Alison Anderson

A man in his thirties returns to Dakar long after leaving Senegal, where he lived as a child. His mother, Manuela, died several years earlier, and this “return to the land of his birth” is a sort of pilgrimage in search of a woman he remembers as charming and capricious. Who was she, in fact? Why, after moving away from Africa, did she go back to Senegal every year? In the course of his encounters with those who knew her, her son attempts to piece together their story. We accompany him on his nostalgic wanderings to the sands of Pikine, the restaurants of Les Almadies, the nightclubs of the city center or the lighthouse of Les Mamelles. He is also trying to find their Senegalese maid, Prudence, who has disappeared. His encounter with her mixed-blood daughter, Vivi, will take the narrator ever further into the complexities of his relationship with Africa. They immediately embark upon a passionate relationship and very quickly envisage returning to France together… The début novel of a Frenchwoman who grew up in Senegal, Leaving Dakar is a charming and precise evocation of the city of Dakar, its inhabitants, its landscapes and the places where a European presence still lingers. Sophie-Anne Delhomme describes the ambiguity of the status of the French who grew up in Africa, and the complexity of their relations with the Senegalese. 

Quitter Dakar has been a featured novel at Columbia University’s Maison Française Book Club in New York City, where the author presented it to a full-capacity audience on October 28, 2011. The book was very well-received and generated passionate debates among the attendees. This good reception should bode strong interest among the larger American public.

Excerpt in English

Chapter 7

She hated shopping, so there was never much to eat when they lived at Point E. The houseboys were kind, but they changed frequently; there were some who stayed with him when she went out in the evening.
He would lie in her bed, nestled against something that held her odor. He pretended to be asleep when the houseboy stuck his head through the door to say goodnight. Some of them would go off and leave him all alone, he could hear the key turning in the lock. Others sat outside the house drinking tea, waiting for her to return. And then one day he decided to hide, because she was going out every night, and he wanted to go out to restaurants, too. No one looked for him, he fell asleep in the wardrobe. It was the laughter, the exclamations that woke him up. Manuela was laughing because she had just unearthed him in her clothes cupboard, huddled underneath the plastic garment bags where she kept her dresses. His mother was with a man, who was holding her and kissing her neck, her shoulders; she was whispering, and neither of them could stop laughing. It was the man who carried him to his bed. Manuela held their glasses, filled with ice cubes.
When she leaned over to tuck him in, he suddenly opened his eyes and hardened his gaze, to burn her with his eyes open in the darkness. Then the man put his arm around her and led her away, stroking her buttocks. He lay there with his eyes wide open, he even slept with his eyes open. That night, he had decided to keep his eyes open to frighten her.
Now and again she would send him to the street corner to buy something from the bana-bana: bread, canned goods, evaporated milk. If they both stayed home in the evening, they ate bread and jam and drank hot chocolate. Some of the houseboys would cook during the day, some red rice or chicken Yassa. She wasn’t interested, she didn’t eat a thing, she was watching her figure. A little girl at school had whispered into his ear, your mother is watching her figure. It seemed awfully complicated, this figure that his mother was watching in their life.
He thought the house felt too empty. Except for Manuela’s room. She collected perfume, scarves, shells and jewelry, and she hung them on branches she’d put here and there to decorate the walls.
To put on her make-up she would sit at a table covered with a long pink skirt that he liked a lot. He would hide underneath it when he was little, then come out, to play, barking between her feet.
The house often filled up with cardboard boxes, piled any old way in the living room. Manuela had a clothing shop and she received shipments from France. She would unpack the dresses and shoes to try them on before taking them to the shop. Toward the end, the boxes vanished. She had seamstresses in the town, she had them copy the designs from France.

Toward the end, instead of a houseboy, they had a woman working for them. She had a room in the house. Her name was Prudence. She came to pick him up every day after school. On the way home he would throw a tantrum because she refused to carry his schoolbag. She didn’t care, she walked along nonchalantly, teasing him to make him furious. When they came to their gate, she would take the bag from him and remark on what a heavy schoolbag it was, and what a strong boy he was for walking miles from school to carry his schoolbag home. Her mischievous laughter eventually got the better of his bad mood. After that they made cut-outs, or did some baking, and she showed him how to make necklaces out of seeds or pasta; he’d be able to look after his mommy just as well as a little girl could.

Manuela was very fond of Prudence, like a friend. She liked to say Be prudent, Prudence! He could hear them chatting out on the terrace, in the evening, Manuela’s cigarette glowing in the shadowy light.
Prudence stayed with them until their departure for France.
When they returned to N’gor the following year, Manuela told him that Prudence had gone back to the bush to visit her family. He left a postcard for her at the hotel. He drew a huge fish on it, a sunfish. And he wrote in his brand new handwriting, from the school in France: Prudence, you can make this fish into a lamp, to make your house pretty. She didn’t answer, and he never heard any more about her. He had forgotten about her.

Standing now outside the movie theatre on the Place de l’Indépendance, after this depressing visit, he promises himself he will try to find her. He needs to do it now, because his sorrow has been eating away at him ever since he left that bastard. Prudence had known them in Dakar, she would remember. She had seen that they existed, she’d be able to tell him.
And besides, Prudence had loved them, she would feel sorry for Manuela, she would share his sorrow. If he could find her, there would be two of them. Then he could leave having passed on the baton, a handful of ashes, a pinch of sand, tears as a memory.

Chapter 8

Licart remembered Prudence very well. Ah yes, how could you forget her: stark raving mad. Vermin. He had warned Manuela, the girl was throwing dust in her eyes. Like a spitting snake, exactly, the kind that spits poison in your eyes. You have to lure them with a belt buckle, or else that’s it. In your eyes and then it’s pitch dark. Find that witch? Impossible, she’d be dead somewhere, devoured by dogs.

By dogs? Licart used to feed sheep’s fetuses to his dogs back in the days when he had a farm at Bambilor, he’d get them from the abattoir on the road to Rufisque. He’d take the fetuses from the animals while the men were still cutting them up. He’d fill up the tubs in the back of his truck. When he got home it was a mad scramble, the dogs springing into the trunk the moment he opened the doors. They didn’t even leave him the time to unload, they were already onto the meat. They’d go wild. He had to use the whip to drive them off. Fourteen of them, not all at the same time, he’d had fourteen dogs, yellow ones, like the dogs in this country. And a menagerie too, somewhere along the Front de Terre road: hens, rabbits, kids, birds, a parrot, a mongoose. And monkeys, chameleons, an iguana and even a baby wart hog, who followed him everywhere.

Find that bitch? He was trembling with indignation.

I recalled that Prudence used to have her moods. There were times when she was absent, when her face went blank and her eyes turned inwards. I could toss my things at her, or try to scratch her, or shout swear words at her, she would not budge. She just said, You be quiet, you’re nothing to me. You are nothing to me. Defeated, I would go away again, raging mad, despairing. And then it was as if it were all forgotten, she’d come into my room singing some annoying song. Who’s going to feed the maggot who lives in there? She pointed to my stomach, the maggot who lives in there. The crisis had passed, I followed on her heels to go downstairs and eat my dinner of rice, blowing out my cheeks like Bouki the hyena in the story she was telling me. The story of Bouki the hyena who got caught because she was such a glutton, one time when she she’d been hiding at the table of the blind people, in the belly of their baobab.

I knew it would be pretty hopeless, trying to find Prudence. But the idea allowed me to stay on. I needed more time in Dakar. Ever since I got there, I’d been trying to close my fist around memories that slipped like sand from my fingers. Now that Prudence had made her reapparition, I had a purpose once again. To find Prudence. She now embodied, all to herself, the time we had spent in this land.

Here, in a dream, along the by-roads, the men talk and whisper messages. Men’s dreams making their way from village to village. You just have to wait, sitting under a tree until one day, when the noontime sun rings the contour of things with blood, the tree will be chosen by the wizards, djinns, and souls who wander the savannah. You just have to wait for them, under the tree where they choose to play the kora. Under the tree where they will perch to grant a wish.

He settled in town above the “Filfili Ranch” supermarket, in a short-term rental apartment for small-time businessmen. He thought he would leave things up to chance encounters, and decided not to make any decisions; every morning he would get up and tell himself that today something, someone, would help him progress with his search.

The morning of the first day he could not get out of bed, his body was dry and burning, his head full of overexposed images. Djinns turned their grimacing faces to him, baring teeth that were filed into triangles and oozed a stream of silvery saliva. He dreamt that the two women were waving to him from the far side of the river. Manuela, Prudence, together on the opposite shore, while he remained alone here on earth.

Three days went by, the fever abated, leaving him weak but lucid. He went out, euphoric for no apparent reason. The still brisk air of the morning, the cool shade of the big rugged trees along the Avenue de la République, in the distance the red guards camped outside the gilded gates of the presidential palace, the industrious calm of the early morning hour all reinforced his confidence and the conviction that he was heading toward something decisive.
He walked up the avenue to the cathedral, then took the avenue Lamine Gueye. Drawn by the crowd hurrying that way, he went in the direction of the Sandaga market, a vestige of neo-Sudanese architecture surrounded by a labyrinthine cluster of multicolored stalls. He turned down a street that was buzzing with the industry of sewing machines and, heedless to the voluble entreaties of the embroiderers, wove his way among the brilliant boubous set out on display right to the middle of the street. He then got lost in a maze of small courtyards and farmyards, wandering past makeshift shops, oilcloths, bicycle wheels, foam mattresses.
The morning progressed, the sun now spread a veil of dull heat while the city became dusty and noisy. Tired and sweating, he paused in the shadow of a corrugated iron awning next to a squatting woman who was selling lettuce, herbs, and little vegetables. He was sampling the freshness of her modest inventory when he noticed that a man with a distinguished air was coming his way.
Pushing a bicycle, dressed in a beige suit and an astrakhan cap and fine tortoise-shell eyeglasses, the man was drawing nearer, never taking his eyes off him.
Once he was within earshot he removed his cap to reveal a perfectly smooth skull, and gave a slight bow.
Bonjour, Monsieur, forgive me for bothering you, and you will pardon me if I am mistaken, but might you be the son of Madame Manuela?
A black clarity washed over me, dazzling. Huge bumblebees filled my skull, knocking against my teeth, against my ear drums, banging against my chest.

I nodded.
And how is Madame Manuela?
The man smiled, waited until I got my wits about me.
She is…My mother is…
I pressed my tongue against my dry lips.
My mother passed away, I’m here on my own.
The man’s expression was one of great consternation when he grasped the meaning of my words.
This is most unfortunate! Ah! He seemed discomfited, his cap in his hand, his eyes downcast, as he tried to digest the news. Ah! This is most unfortunate! A great misfortune! Ah!

His name was Thierno. He was Guinean and he had been a houseboy
for our neighbors at Point E. My mother had given him the goat when we left Dakar. They had corresponded, she had given him money for his family. She sent him photographs, of us, of me. He was grateful to her, and now he had recognized me.
He called out to a passer-by who was giving him a questioning look, and an animated discussion followed in Wolof between the passer- by, the street vendor, a bana-bana who had been dozing until now, an old man seated not far from there fingering his worry beads, and a motorcyclist who had stopped right next to us. They all looked at me, smiling. The vendor, with a twig in her teeth, punctuated their exchange of information with short bursts of laughter, and soon the group was joined by the cheerful faces of curious little children.
The motorcyclist began to speak, pointing at Thierno.
He said you have to go to his house. He’ll introduce you to his family.
Thierno gave a contented nod of the head, confirming his invitation.
He’ll send his nephew to guide you there. You must tell the taximan, Sicap Liberté, he’ll drop you off outside the stadium. His nephew will be there, he will guide you.—

In memoriam

Dakar, 1971. Le baobab de l’ellipse du Point E.

Contributions

Fils
in Débridé n°3

Est-ce que tu dors bien mon fils  ?

Il dort 
Abandonné, bras ouverts 
offert au ciel sale de ce coin d’horizon
Aux passants sur le trottoir 
aux usagers des bus 86, 87, 63
Au froid qui mord
Une chaussure contre la tempe, l’autre disparue
Les pieds nus, sortis de ce qui le recouvre
Un sac de couchage, une couverture, rien 
Il dort sur un carré qui souffle de la chaleur 
une grille

Est-ce que tu manges bien ?

Il mange  
Par terre 
Appuyé sur un coude, des choses qu’il éparpille 
Sauces, barquettes, jus de fruits, gobelets, sac en plastique
trois pommes
Il fume, 
allongé
Des mégots qu’il éparpille
Il s’habille et se déshabille de vêtements qu’il abandonne
Sans quitter sa grille

Est-ce que tu as trouvé un logement ?
Est-ce que tu as trouvé un travail ?
Est-ce que tu as trouvé des amis ?

Il défie les passants
Il défie les usagers de la RATP
Ils défie ceux qui le regarde
Il défie le monde
Il défend sa grille
Il se parle dans sa tête
Il se parle à lui-même

Quand il pleut trop, il s’en va.
La Mairie de Paris fait le ménage, les pigeons s’activent
la voirie range, la voirie nettoie 

Donne nous des nouvelles Fils 
Ta mère s’inquiète 

Octobre 2023

“Tout était tranquille”
in Sève n°1

C’était une plage nouvelle au bout de la Corniche, au pied d’un hôtel nouveau. Un décor de plage, installé pour nous, ceux qui prennent l’avion pour venir se baigner en décembre. Un rivage comme une maquette, une pellicule de sable roux collée sur une feuille de carton, des parasols fabriqués avec des allumettes et des ronds découpés, des éponges peintes en vert pour les buissons, l’eau simulée avec du papier d’argent. Exactement la maquette de notre jeu enfants du Grand hôtel Cafardeux.

C’est arrivé quand j’ai mis le pied dans l’eau tiède qui frisottait sur la bordure du sable, je me suis souvenue de notre grand hôtel et de sa clientèle, des cafards que nous gazions à l’insecticide. Je me retrouvais exactement comme eux, couchés sur le dos sous les parasols, sur le gras bombé de leurs élytres, leurs longues moustaches étalées sur le sable.

Pour composer cette plage grandeur nature du Grand hôtel Cafardeux, il a fallu de la dynamite, des pelleteuses, des grues, du béton et des camions de sable. Il a fallu discipliner la Barre qui s’acharnait contre les rochers au coucher du soleil. Elle était tout à fait vaincue derrière la jetée de moellons, elle ne rugissait même plus dans mon souvenir quand nous sommes rentrés nous changer pour le dîner, après avoir si bien nagé en décembre.

Ce n’était pas vraiment une pensée, juste un écho de toi dans ce jeu des cafards morts que nous faisions vivre dans un hôtel.

Quelquefois le soir, pour les regarder vivre, nous glissions une ampoule électrique à l’intérieur du lobby. Ils restaient sans bouger autour de la lumière. Nous les savions nombreux encore au restaurant, dans les étages, certains dormants déjà, ceux dont les chambres ne profitaient pas du halo. Ceux du lobby se parlaient face à face, assis tout raides dans des canapés de coton et de boîtes d’allumettes, leurs gros ventres et leurs antennes étalées, ils chuchotaient des projets pour la soirée, ils allaient retrouver des amis, quelques-uns étaient amoureux. Nous inventions leur vie depuis l’extérieur, depuis la plage ou le jardin au bord de la piscine où certains devisaient sans bruit dans le noir, sage comme nous les avions installés dans l’obscurité. Tout était calme au Grand hôtel mais dans le cœur de sa clientèle bouillonnaient des aventures que nous devinions.

Nuit béante à l’intérieur de mon corps dont les contours s’évanouissent à l’instar des mirages qui s’animent dans ses ténèbres. Mirage du hall funéraire de notre Grand hôtel, ses baies vitrées coulissantes, sa pièce d’eau, ses roches décoratives, ses bouquets japonais, ses fauteuils club, son piano silencieux, son micro abandonné. 

Les mots affleurent de l’obscurité articulant des images comme celle-ci que je pêche au hasard : une photo qui me dévisage, appuyé sur un coude, le menton dans la main, au bord d’une piscine sous un grand parasol. Rouge le maillot, rouge jaune vert les quartiers du parasol, bleu le matelas sur lequel tu reposes. Bleue la piscine, blanche la margelle, vive la lumière, tu clignes les yeux mais tu me regardes.

Une photo qui m’emmène dans notre jardin vert où la terre est grasse et le tronc des arbres rugueux. Un jardin qui se déploie autour de l’image, dont je foule pieds nus le gazon dru, le chemin de dalles crayeuses, le ciment râpeux derrière la maison, le sol de coquillages du carré de filaos.

Les odeurs et les bruits ont depuis macéré avec d’autres. Si je les ai parfois retrouvés en rêve, intacts mais volatils, j’ai perdu leur empreinte au réveil. Jusqu’à quand, dans les yeux, le rose pourpré de l’hibiscus, le taffetas éteint des pétales de bougainvillée. Le velours sucré de la fleur de frangipanier, massepain clair au cœur foncé taché d’écarlate à la pointe. Jusqu’à quand les flamboyants en fleurs, avant qu’aux branches ne leur pendent de tristes sabres noirs.

La nuit monte fraîche à travers la terre grasse du jardin, l’air est saturé d’anti-moustique, nous circulons dans les pièces éclairées. Je sais que tu es là, aucun écho pourtant de tes pieds nus sur le carrelage, tu as disparu dans ce grand silence. Autour de la piscine, les cafards de notre hôtel devisent en lissant leur moustache, leurs murmures couverts par le fracas des vagues contre les rochers éparpillés à la dynamite.

Je m’étais endormie sur la plage du Grand hôtel Cafardeux, le corps cuivré comme un caramel, de ceux qui craque sous la dent comme les cafards sous nos sandales, les moustaches bien étalées, le ventre plein d’une bouillie de petits œufs. Un ciel de gouache, un rond de sable blond pour figurer le soleil. Tout était tranquille.—

Juin 2022

“Trois pluies”
in la Tortue Verte*

Prix de la nouvelle Forum Femmes-Méditerranée 2006

Abdoulaye a dix ans. C’est un garçon sérieux. Il vit chez l’Oncle avec sa mère.
Abdoulaye n’a pas connu son père, l’Oncle il l’appelle Papa, il vit chez lui depuis qu’il est tout petit. Il y a beaucoup d’enfants dans la maison de l’Oncle, c’est une maison en dur à Pikine, loin du centre-ville, loin de Dakar.
La mère d’Abdoulaye ne laisse personne s’occuper de lui, de son éducation. Elle tient tête à l’Oncle, personne mieux qu’elle ne sait ce qui est bon pour son fils. « Ton frère saura te tuer là où il est si tu touches à mon fils. » Elle leur fait peur sa mère, elle les tient à distance, « Papa », les co-épouses et ses nombreux cousins.
Abdoulaye est un garçon sérieux, sa mère a la main dure pour lui faire passer l’envie de se dissiper. Mais elle sait aussi, depuis qu’il est tout petit, lui souffler le soir à l’oreille le chant du vent dans les filaos et lui conter son rêve à mi-voix. Il ne comprend pas les paroles, mais c’est une mélodie qu’il aime, il s’endort dans son murmure. Sur un cheval sellé d’or et d’argent, il s’élance au-delà des hautes herbes de la savane, au-delà des baobabs, du fleuve et du désert, au-delà des continents, très loin, très haut, jusqu’à toucher la lune.
Abdoulaye a dix ans et il rêve en secret de devenir président de la République.

Il est arrivé en France la semaine dernière, il a dix-huit ans. Depuis toujours sa mère a mis de l’argent de côté, elle a convaincu l’Oncle de lui obtenir des papiers. Il est là pour étudier, ils ont entendu parler d’une école d’économie, il pourra apprendre la comptabilité. C’est cher, mais elle a mis de l’argent de côté depuis si longtemps. Il est à Vitry chez son cousin pour l’instant, il faut qu’il se renseigne pour son école.
Son cousin ne peut pas le garder, il l’emmène à Paris visiter un logement avenue d’Italie. Ils ont pris le RER et il l’a quitté devant l’arrêt d’autobus. Abdoulaye a mis le manteau qu’il lui a donné, il est un peu grand mais il lui tient chaud. Paris, c’est compliqué et c’est merveilleux. Il cherche autour de lui à partager la joie qui l’envahit mais les autres voyageurs ont des yeux absents et sévères. Il se cale contre la fenêtre et sourit sans s’en apercevoir, il a eu la trouille tout à l’heure en glissant son ticket dans la machine, elle l’a avalé tellement vite, il a bien cru y laisser les doigts.
La chambre est sale et encombrée. Les autres ne sont pas là quand il visite, ils vont vivre à trois dans la pièce. Un lit, deux planches débarrassées sur une étagère, l’ami de son cousin est pressé qu’il s’installe. Abdoulaye paye et retourne à Vitry chercher sa valise. Dans l’escalier, des petits enfants se bousculent pour le regarder partir. Il y a beaucoup de monde dans cet immeuble.
Abdoulaye ne fait pas d’études d’économie, il n’a pas trouvé l’école. Son cousin n’était pas étonné, c’est une école pour les naïfs. Comme sa mère avait déjà envoyé quelque chose, l’argent est perdu. Abdoulaye ne sait pas trop comment lui en parler. Il en parlera quand il aura trouvé autre chose, mais dans son nouveau logement, il peine à s’endormir.

Par le hublot de l’avion qui l’a conduit en France, il a vu le soleil se coucher au-dessus de l’horizon, l’avion s’illuminait d’or et d’argent dans un ciel de neige et de feu.
Abdoulaye croyait rêver tandis que son rêve l’emportait vers l’ombre de la nuit qui avançait.

La neige est venue et il l’attendait. Il la trouve froide, sale et mouillée, et moche, comme sa vie. Il y a longtemps qu’il n’a pas donné de nouvelles à sa mère.
Pour lui dire quoi, depuis six mois qu’il est ici, qu’il n’étudie pas, que ses papiers sont périmés, qu’au squat ils lui ont tout piqué, qu’il traîne avec des types qui se cachent de la police, comme lui.
Il n’a pas vu son cousin depuis trois mois, pour lui dire quoi, qu’il a besoin d’argent, de nourriture et de travail. Abdoulaye n’a pas été élevé pour demander la charité.
Il finit par en trouver du travail. Un travail sérieux, du ménage le soir. Pas de papiers, pas d’histoire, à prendre ou à laisser. Il va s’en sortir, il y croit Abdoulaye, c’est le début de la fin de la galère.  
Au squat, les garçons de sa chambre, ça les fait ricaner. Homme de ménage et pourquoi pas président de la République.
Abdoulaye résiste, il a besoin de cet argent, pour s’acheter des Marlboro et se payer des vêtements chauds. L’hiver, c’est froid une ville comme Paris. Les autres sont habitués, ils sont là depuis longtemps. Ce sont des durs, ils sont venus en camion par le désert, ils ont traversé la nuit dans des bateaux, ils ont connu la peur, ils se sont vus mourir. Abdoulaye les fait doucement rigoler, l’étudiant qui est venu avec Air France. Ils ont commencé par se servir dans sa valise, ils l’ont fait marcher pour voir, et puis ils l’ont adopté, ils traînent ensemble maintenant. Quand Abdoulaye n’est pas à son travail.
Mais avec ce qu’il gagne il hésite à continuer, ses copains ont des plans pour gagner beaucoup sans se fatiguer.
C’est bon, Abdoulaye, va de l’avant, les combines, le trafic, le commerce, ça lui plaît plus qu’il ne croyait. Et ça lui réussit plutôt pas mal, bientôt il pourra faire signe au cousin, sapé comme un prince, et envoyer de l’argent à sa mère.

Sa mère l’attend, chez l’Oncle à Pikine. Elle fait de plus en plus peur aux enfants, à parler toute seule. Le soir assise devant la maison elle récite ses prières, enveloppée jusqu’au front dans son pagne, les yeux perdus au-delà de Pikine, au-delà de Yoff, au-delà du rivage venteux qui souffle son écume dans les filaos, bien au-delà. Elle est courbée la mère, elle devient vieille. Les co-épouses se moquent derrière son dos : « En voilà un fils, qui disparaît en nous laissant la vieille, et pauvre comme Job avec ça. » Les co-épouses n’ont pas ces problèmes avec leurs garçons, « voilà ce que c’est d’avoir toujours pété plus haut que son c… »

Abdoulaye a disparu, il a quitté le squat, le cousin n’a pas réussi à le contacter quand la mère lui a fait demander de chercher des nouvelles. Des nouvelles, la mère en a dans ses cauchemars.
Elle se réveille en sueur, Abdoulaye tout en blanc court avec les autres ndioulis, ils pourchassent une chèvre avec leurs bâtons. Ça ne lui plaît pas qu’il traîne en route, elle se fâche quand il arrive essoufflé, encore tout agité. Mais il ne se laisse pas faire, il se raidit et la défie droit dans les yeux.
C’est alors que la mer recouvre son enfant. Elle l’aperçoit encore un temps sous la surface, le visage grave tendu vers le sien, avant qu’il coule à pic et disparaisse dans l’eau sombre.

La mère est allée voir le borom coquillage, pour avoir des nouvelles. Elle a pris l’habitude d’attendre son tour dans sa maison en tôle derrière le marché Sandaga. Au mur en face d’elle, à côté du frigidaire, un grand cheval emporte le héros Lat Dior dans un galop de velours brodé d’or et d’argent.  
Le borom lit le destin d’Abdoulaye dans les coquillages qu’il lance sur une étoffe étalée devant lui. Elle lui apporte des légumes ou du riz, un peu d’argent quand elle en a. Abdoulaye va bien. « Ton fils, il va très bien. Oui, il gagne de l’argent. Oui, il fait du commerce. Oui, il va revenir. Trois pluies pendant trois jours. Regarde », il choisit un cauri, « regarde, trois pluies, trois jours et tu auras des nouvelles. Inch’Allah. »
La mère reprend courage. Son fils est un battant, il réussit très bien en France. C’est ce qu’elle raconte aux gens du quartier et aux co-épouses. « Alors pourquoi la mère d’un tel fils n’est-elle pas mieux vêtue, et pourquoi n’a-t-elle n’a pas encore de voiture ? » Les voisins s’interrogent, il réussit Abdoulaye, mais ce n’est pas un bon fils. Sa mère, il a mangé ses rêves.

« Vous verrez quand il reviendra, un seigneur ! Il travaille dans le business, il aura une maison aux Almadies, il achètera une télévision satellite, il travaillera au gouvernement grâce à ses connaissances. C’est un grand homme désormais ! »

L’Oncle est mort et la mère vit chez des voisins, les co-épouses aussi ont vieilli, elles sont parties chez leurs enfants, l’un d’entre eux est marié avec une Française. La mère n’a rien à leur demander à propos d’Abdoulaye, sûrement pas de chercher des nouvelles. Comme tout le monde depuis toutes ces années elle attend la saison des pluies. Il pleut moins qu’autrefois par ici, la sécheresse s’installe au fil du temps.
La mère, elle n’attend que trois jours de pluie. Trois pluies, trois jours, ce serait son rêve.Abdoulaye a dix ans. C’est un garçon sérieux. Il vit chez l’Oncle avec sa mère.
Abdoulaye n’a pas connu son père, l’Oncle il l’appelle Papa, il vit chez lui depuis qu’il est tout petit. Il y a beaucoup d’enfants dans la maison de l’Oncle, c’est une maison en dur à Pikine, loin du centre-ville, loin de Dakar.
La mère d’Abdoulaye ne laisse personne s’occuper de lui, de son éducation. Elle tient tête à l’Oncle, personne mieux qu’elle ne sait ce qui est bon pour son fils. « Ton frère saura te tuer là où il est si tu touches à mon fils. » Elle leur fait peur sa mère, elle les tient à distance, « Papa », les co-épouses et ses nombreux cousins.
Abdoulaye est un garçon sérieux, sa mère a la main dure pour lui faire passer l’envie de se dissiper. Mais elle sait aussi, depuis qu’il est tout petit, lui souffler le soir à l’oreille le chant du vent dans les filaos et lui conter son rêve à mi-voix. Il ne comprend pas les paroles, mais c’est une mélodie qu’il aime, il s’endort dans son murmure. Sur un cheval sellé d’or et d’argent, il s’élance au-delà des hautes herbes de la savane, au-delà des baobabs, du fleuve et du désert, au-delà des continents, très loin, très haut, jusqu’à toucher la lune.
Abdoulaye a dix ans et il rêve en secret de devenir président de la République.

Il est arrivé en France la semaine dernière, il a dix-huit ans. Depuis toujours sa mère a mis de l’argent de côté, elle a convaincu l’Oncle de lui obtenir des papiers. Il est là pour étudier, ils ont entendu parler d’une école d’économie, il pourra apprendre la comptabilité. C’est cher, mais elle a mis de l’argent de côté depuis si longtemps. Il est à Vitry chez son cousin pour l’instant, il faut qu’il se renseigne pour son école.
Son cousin ne peut pas le garder, il l’emmène à Paris visiter un logement avenue d’Italie. Ils ont pris le RER et il l’a quitté devant l’arrêt d’autobus. Abdoulaye a mis le manteau qu’il lui a donné, il est un peu grand mais il lui tient chaud. Paris, c’est compliqué et c’est merveilleux. Il cherche autour de lui à partager la joie qui l’envahit mais les autres voyageurs ont des yeux absents et sévères. Il se cale contre la fenêtre et sourit sans s’en apercevoir, il a eu la trouille tout à l’heure en glissant son ticket dans la machine, elle l’a avalé tellement vite, il a bien cru y laisser les doigts.
La chambre est sale et encombrée. Les autres ne sont pas là quand il visite, ils vont vivre à trois dans la pièce. Un lit, deux planches débarrassées sur une étagère, l’ami de son cousin est pressé qu’il s’installe. Abdoulaye paye et retourne à Vitry chercher sa valise. Dans l’escalier, des petits enfants se bousculent pour le regarder partir. Il y a beaucoup de monde dans cet immeuble.
Abdoulaye ne fait pas d’études d’économie, il n’a pas trouvé l’école. Son cousin n’était pas étonné, c’est une école pour les naïfs. Comme sa mère avait déjà envoyé quelque chose, l’argent est perdu. Abdoulaye ne sait pas trop comment lui en parler. Il en parlera quand il aura trouvé autre chose, mais dans son nouveau logement, il peine à s’endormir.

Par le hublot de l’avion qui l’a conduit en France, il a vu le soleil se coucher au-dessus de l’horizon, l’avion s’illuminait d’or et d’argent dans un ciel de neige et de feu.
Abdoulaye croyait rêver tandis que son rêve l’emportait vers l’ombre de la nuit qui avançait.

La neige est venue et il l’attendait. Il la trouve froide, sale et mouillée, et moche, comme sa vie. Il y a longtemps qu’il n’a pas donné de nouvelles à sa mère.
Pour lui dire quoi, depuis six mois qu’il est ici, qu’il n’étudie pas, que ses papiers sont périmés, qu’au squat ils lui ont tout piqué, qu’il traîne avec des types qui se cachent de la police, comme lui.
Il n’a pas vu son cousin depuis trois mois, pour lui dire quoi, qu’il a besoin d’argent, de nourriture et de travail. Abdoulaye n’a pas été élevé pour demander la charité.
Il finit par en trouver du travail. Un travail sérieux, du ménage le soir. Pas de papiers, pas d’histoire, à prendre ou à laisser. Il va s’en sortir, il y croit Abdoulaye, c’est le début de la fin de la galère.  
Au squat, les garçons de sa chambre, ça les fait ricaner. Homme de ménage et pourquoi pas président de la République.
Abdoulaye résiste, il a besoin de cet argent, pour s’acheter des Marlboro et se payer des vêtements chauds. L’hiver, c’est froid une ville comme Paris. Les autres sont habitués, ils sont là depuis longtemps. Ce sont des durs, ils sont venus en camion par le désert, ils ont traversé la nuit dans des bateaux, ils ont connu la peur, ils se sont vus mourir. Abdoulaye les fait doucement rigoler, l’étudiant qui est venu avec Air France. Ils ont commencé par se servir dans sa valise, ils l’ont fait marcher pour voir, et puis ils l’ont adopté, ils traînent ensemble maintenant. Quand Abdoulaye n’est pas à son travail.
Mais avec ce qu’il gagne il hésite à continuer, ses copains ont des plans pour gagner beaucoup sans se fatiguer.
C’est bon, Abdoulaye, va de l’avant, les combines, le trafic, le commerce, ça lui plaît plus qu’il ne croyait. Et ça lui réussit plutôt pas mal, bientôt il pourra faire signe au cousin, sapé comme un prince, et envoyer de l’argent à sa mère.

Sa mère l’attend, chez l’Oncle à Pikine. Elle fait de plus en plus peur aux enfants, à parler toute seule. Le soir assise devant la maison elle récite ses prières, enveloppée jusqu’au front dans son pagne, les yeux perdus au-delà de Pikine, au-delà de Yoff, au-delà du rivage venteux qui souffle son écume dans les filaos, bien au-delà. Elle est courbée la mère, elle devient vieille. Les co-épouses se moquent derrière son dos : « En voilà un fils, qui disparaît en nous laissant la vieille, et pauvre comme Job avec ça. » Les co-épouses n’ont pas ces problèmes avec leurs garçons, « voilà ce que c’est d’avoir toujours pété plus haut que son c… »

Abdoulaye a disparu, il a quitté le squat, le cousin n’a pas réussi à le contacter quand la mère lui a fait demander de chercher des nouvelles. Des nouvelles, la mère en a dans ses cauchemars.
Elle se réveille en sueur, Abdoulaye tout en blanc court avec les autres ndioulis, ils pourchassent une chèvre avec leurs bâtons. Ça ne lui plaît pas qu’il traîne en route, elle se fâche quand il arrive essoufflé, encore tout agité. Mais il ne se laisse pas faire, il se raidit et la défie droit dans les yeux.
C’est alors que la mer recouvre son enfant. Elle l’aperçoit encore un temps sous la surface, le visage grave tendu vers le sien, avant qu’il coule à pic et disparaisse dans l’eau sombre.

La mère est allée voir le borom coquillage, pour avoir des nouvelles. Elle a pris l’habitude d’attendre son tour dans sa maison en tôle derrière le marché Sandaga. Au mur en face d’elle, à côté du frigidaire, un grand cheval emporte le héros Lat Dior dans un galop de velours brodé d’or et d’argent.  
Le borom lit le destin d’Abdoulaye dans les coquillages qu’il lance sur une étoffe étalée devant lui. Elle lui apporte des légumes ou du riz, un peu d’argent quand elle en a. Abdoulaye va bien. « Ton fils, il va très bien. Oui, il gagne de l’argent. Oui, il fait du commerce. Oui, il va revenir. Trois pluies pendant trois jours. Regarde », il choisit un cauri, « regarde, trois pluies, trois jours et tu auras des nouvelles. Inch’Allah. »
La mère reprend courage. Son fils est un battant, il réussit très bien en France. C’est ce qu’elle raconte aux gens du quartier et aux co-épouses. « Alors pourquoi la mère d’un tel fils n’est-elle pas mieux vêtue, et pourquoi n’a-t-elle n’a pas encore de voiture ? » Les voisins s’interrogent, il réussit Abdoulaye, mais ce n’est pas un bon fils. Sa mère, il a mangé ses rêves.

« Vous verrez quand il reviendra, un seigneur ! Il travaille dans le business, il aura une maison aux Almadies, il achètera une télévision satellite, il travaillera au gouvernement grâce à ses connaissances. C’est un grand homme désormais ! »

L’Oncle est mort et la mère vit chez des voisins, les co-épouses aussi ont vieilli, elles sont parties chez leurs enfants, l’un d’entre eux est marié avec une Française. La mère n’a rien à leur demander à propos d’Abdoulaye, sûrement pas de chercher des nouvelles. Comme tout le monde depuis toutes ces années elle attend la saison des pluies. Il pleut moins qu’autrefois par ici, la sécheresse s’installe au fil du temps.
La mère, elle n’attend que trois jours de pluie. Trois pluies, trois jours, ce serait son rêve. —

*Revue en ligne des littératures francophones / Université de Lille

Critiques

Au soleil d’Ubac
“Son odeur après la pluie”
Cédric Sapin-Defour (EaN, non publié)

“Son odeur après la pluie” raconte la belle histoire toute simple de deux êtres qui s’aiment. Un homme, l’auteur, Cedric Sapin Defour, alpiniste, écrivain de la nature et un chien, Ubac, bouvier bernois. “Nous nous asseyons, nos têtes s’alignent et même si je crois fermement qu’il se fiche du point de vue, nous contemplons ensemble l’horizon, ce qui en montagne ne va pas de soi”.

Le titre de cette histoire de gens heureux, sa formule olfactive, est sans doute, pour tout lecteur qui la connait, le secret de l’attraction de récit. Elle concentre à elle seule l’intimité que partagent avec leur chien les initiés d’un monde que Cédric Sapin-Defour n’hésite pas à qualifier de “deuxième monde”. Un territoire où cohabitent de nombreux humains d’horizons divers, qui n’ont parfois rien en commun “sauf l’amour des chiens, improbable affinité qui dépasse et relie tous les incompatibles de la terre.” Un “deuxième monde” méconnu sinon moqué, “une guimauverie”, par ceux qui gravitent dans le “monde officiel”. Lequel, s’il peut être “joli”, n’est en rien comparable au “territoire magique” à la mesure de l’amour “immarcescible” que l’homme et l’animal y éprouvent l’un pour l’autre.

Cedric et Ubac vont nous y emmener, par la grâce d’une “pile” et d’une “clé” comme l’écrit joliment l’auteur. Une pile, “un je ne sais quoi greffé sous la peau qui stimule le coeur”. Une clé, vers “un territoire où l’on parle aux nuages, aux renardeaux et aux êtres invisibles”. Avec ces deux-là, nous goûterons à “l’ardent triomphe du présent” dans des paysages de Savoie grandioses, ses cimes, ses lacs, ses forêts, mais aussi dans des “riens du tout”, où le bal des abeilles, trois cailloux, des feuilles en tourbillon composent “une balade qui pourrait s’adjuger deux L tant elle oeuvre à la poésie du monde”. De partager leurs éblouissements explique sans doute la qualité de l’écriture de Cédric Sapin-Defour, précieuse, parfois savante, soudain familière à l’image de la nature dont l’expérience enseignée par Ubac “commence par son juste récit”.

Mais si, dans ce “deuxième monde”, par la grâce d’Ubac “l’enlumineur”, la beauté est “à braconner partout”, l’aventure elle aussi est partout. Cédric Sapin-Defour prendra un plaisir contagieux à nous introduire au plus infime du récit de sa relation avec Ubac. Nous saurons tout, et passionnément, du PMU de la galerie commerciale où il découvre le 4 octobre 2003 en page 6 du journal local la petite annonce qui va faire apparaître dans sa vie un minuscule bouvier bernois, “sa microlangue râpeuse comme un buvard, sa truffe et ses coussinets rose dragée, sa petite queue, un métronome réglé sur 200.” La suite est à la hauteur d’un film d’action.
Après l’avoir rencontré chez une noble dame en compagnie d’“une mêlée de peluche” “en désordre de marche”, nous attendrons fébrilement qu’il ait suffisamment grandi pour avoir le bonheur de repartir avec lui. Nous calmerons notre impatience en lui cherchant un nom. A l’occasion des premières gelées et d’une promenade sur le versant ombreux de la montagne, “Ubac” s’imposera, “deux syllabes claquant comme un seul être”. Quelque part un nom attendait, en parfaite symbiose avec la biographie de l’auteur, alpiniste, journaliste, écrivain de la montagne, épris d’elle depuis l’enfance. Un nom associé au sien “comme l’on tatouerait la vie”. En effet Cédric Sapin-Defour récuse avec force le terme de “propriétaire” ou de “maître”, au profit de “compagnon” pour qualifier la plénitude d’un tel mélange de destins.
Nous retournerons enfin dans la cuisine de la noble dame où cette fois-ci, la tarte aux pommes sera aux poires.
Surviendront alors une suite d’épisodes captivants, dont nous voudrions ralentir la lecture pour n’en manquer aucun détails.
Ubac sur la banquette avant du camion, l’émerveillement de l’employée du péage. La toute première promenade. Renifler son premier congénère, “un gros malabar de husky”, “le poitrail bombé, les naseaux éruptifs”. Arpenter une animalerie, découvrir l’appartement. Le premier câlin, le premier diner, la première nuit. La visite au vétérinaire, suivie de bien d’autres. Ces “êtres supérieurs”, partenaires expérimentés qui “baladent leurs compétences scintillantes au travers d’un joli désordre qui miaule, aboie, pue, chante, crie et jamais ne remercie”. Visites où Ubac révèlera sa grande humanité. “Ici comme ailleurs, il aime tout le monde, ici plus qu’ailleurs, il doit percevoir un climat d’inquiétude, alors en être prophylactique, il encourage chacun à bien aller. Est-il à ce point aimable parce qu’il aime tant ?” Ubac est le héros que nous attendions.
Ensuite, comme dans toutes les séries addictives, il y aura une histoire d’amour (humaine), d’autres personnages féminins (canins), de l’amour bien sûr, du sexe (un peu) et beaucoup d’humour. Jusqu’au climax que nous n’avions pas vu venir : désormais grosse bête, Ubac, son énorme tête et ses crocs qui d’un coup pourraient défigurer Cédric, fera honneur à la réputation de super-héros que prêtent aux chiens tous leurs compagnons. “Quelque part entre le chien et le loup”, “babines au plus haut”, avec un aboiement comme un cri “sous peine de la vie”, il neutralisera deux crétins menaçants. Ubac chevalier, prêt à donner sa vie pour Cédric.

“Le coeur d’un chien ne monte pas en puissance, il est en haut, gonflé, tout de suite et toujours, il y a l’amour dès le réveil, c’est cette pleine vitalité qui sans doute l’épuise et raccourcit son passage”. Hélas, un jour, comme dans les grands romans qui nous bouleversent et marquent nos mémoires, Ubac va s’en aller. D’épopée le récit deviendra lettre d’amour où l’auteur inconsolable confiera désormais “chercher partout ces yeux qui me cherchaient partout”. Et puis, un matin, de printemps peut-être, “conscient de son héritage et de la fabuleuse inflexion de son existence”, il pourra de nouveau être un homme heureux. Des pages déchirantes, que nous aurons la tentation cette fois-ci de lire vite, pour nous garer d’un trop plein de chagrin, avant d’y revenir parce que nous aussi “nous n’avions pas tout à fait fini de t’aimer”.

“Que le plus de toi persiste” Avec ce texte Cédric Sapin-Defour, hausse Ubac au Panthéon des chiens de la littérature. Ceux gravés dans le coeur de qui les a rencontré au fil de ses lectures. Le Capi d’Hector Malot, compagnon de Rémi Sans famille, Immacolatella dans l’ile d’Arturo et Bela dans la Rome bombardée d’Elsa Morante. Denise, l’autre bouvier bernois. ( “Denise au Ventoux” Michel Jullien Ed. Verdier. EaN février 2017) Et enfin, biographe de la poétesse Elizabeth Barrett Browning, Flush, le cocker dont Virginia Woolf a traduit la prodigieuse langue des odeurs. Tous et sans doute bien d’autres, telle la chienne aimée que Jean Paul Dubois célèbre dans la préface de “Son odeur après la pluie”, ont en commun d’être unique et inoubliable. Nous quitterons à regret ce témoignage du “deuxième monde”, où la vie est plus vaste, ce “territoire magique” que l’on arpente avec un chien, sans être tout à fait dupe de la question que Cédric Sapin-Dufour feint de se poser. “J’ignore pourquoi nous nous évertuons à parler aux chiens. Sans doute chacun de nous rêve-t-il en secret d’être le premier homme sur terre à qui le sien répondra.” 

Nos admirées
“7 femmes”
Lydie Salvayre (onlalu.com)

Emily Brontë, Marina Tsvetaeva, Virginia Woolf, Colette, Sylvia Plath, Ingeborg Bachmann, Djuna Barnes… Sept écrivains. Sept pierres tombales que Lydie Salvayre, tambour battant, descelle et passe au karsher. Soufflant la vie sur leurs glorieux linceuls, elle réanime les femmes de chair au cœur de l’œuvre. Et, par son talent, rend vivants leurs célèbres visages, leurs regards posés sur nous. Sept œuvres dont elle décrit l’influence au fil de sa propre vie littéraire, de sa vie tout court, et en cela partage une expérience qui ne manque pas de résonner pour nombre d’entre nous. Sept “folles” qui ont en commun l’écriture au centre de leur existence, pour le meilleur et pour le pire. La force et la beauté du texte pour le meilleur, la tragédie de vivre pour le pire. Peut-on écrire et vivre ? En sont-elles mortes ? Lydie Salvayre a-t-elle pensé à Barbe Bleue, en choisissant de rendre la vie à ces sept épouses ? De folles, elles deviennent “allumées” quelques lignes plus bas, le choix de l’expression projetant la question dans notre époque. Où il n’y a plus à choisir entre coudre des boutons ou être excommunié. Peut-on écrire et vivre : était-ce la question qui tourmentait Lydie Salvayre l’année où le goût d’écrire l’ayant quitté elle s’est tournée vers ses “admirées” ? Chacune à sa manière y répondra : Sylvia douce et inquiète, Colette sceptique, Djuna dubitative, Ingeborg pensive, Tatiana résignée, Emily indifférente, Virginia réservée, le sourire de politesse. Sept variantes, droit dans les yeux, pour une même évidence que paraphe avec fougue Lydie Salvayre. “L’œuvre est l’existence. Ni plus, ni moins.”

Autrement dit
“L’Inédit” Carnets intimes
Marie Cardinal (onlalu.com)

Elle tape à la machine, comme le confirment les pages dactylographiées qui scandent le livre, pages choisies et arrachées de son journal intime, journal de bord de la difficulté d’écrire, de la difficulté d’y croire. De la désespérance parfois, mais aussi de la joie devant la beauté du monde. Les filles de Marie Cardinal, disparue en 2001, ont rassemblé des fragments de textes d’époque et de natures diverses, éclairant la trame d’une vie de femme engagée dans sa vie d’écriture. Hormis les extraits datés de son journal, on y trouve une interview d’elle-même par elle-même, exercice au long cours dont la mécanique trouble et ravit. Celle-ci est entrecoupée de textes en italiques, fictions, souvenirs, fragments d’histoires, morceaux d’images qui entêtent comme le parfum des giroflées sauvages dans le jardin de la bastide où se livre le face à face de l’écrivaine avec elle-même, un dialogue, parce que “le monologue me tue”. Sur un clapot léger “L’inédit” vogue à travers les lieux et les époques, l’Algérie natale, la nostalgie de l’enfance, la Provence et Paris, plus tard le Canada, les voyages et les luttes. Le bonheur d’une vie dans toute sa complexité, comme elle l’écrira si bien: “Le bonheur. Le bonheur à six branches, à deux têtes, à sept queues. Ce mot dans ma tête. Il vrombit, il grince, il s’enraye comme une perceuse.”

Formule magique
“Manifeste de Dingdingdong”
Alice Rivières (onlalu.com)

Ding dingue dong ! Trois notes légères pour un sujet très grave, et un écrivain apparaît. Alice Rivières, signe avec ce premier texte, ce “Manifeste du Ding Ding Dong”, un témoignage rare et précieux. Il était une fois trois sœurs : Alice la plus jeune a trente ans lorsqu’elles comprennent que leur mère s’enfonce dans une maladie irréversible dont on ne parle pas, mais dont on sait vaguement qu’elle “traîne” dans la famille : la maladie de Huntington mieux connue par son syndrome aux échos moyenâgeux, la danse de Saint Guy. Une affection neurologique incurable dont le porteur du gène sait avec certitude qu’il développera la maladie, sans savoir quand ni comment, entre trente et cinquante ans selon les statistiques. Une maladie pour laquelle la médecine moderne dispose d’un test génétique, mais rien d’autre : la révélation engendrant la malédiction. Pendant dix ans, jusqu’à ce que la maladie l’envahisse, la mère d’Alice cachera à ses filles qu’elle se sait porteuse du gène. “Vous dire une choses pareille alors que vous aviez vingt ans et des poussières…” Alice et ses sœurs confrontées à la vérité de “cette affaire”, se trouveront alors devant le terrible dilemme de faire ou ne pas faire ce test. Un tragique histoire de pile ou face. Et Alice sait que, si elle ne le fait pas, elle sera hantée par le doute comme une maison perturbée nuit et jour par un fantôme très encombrant. C’est de l’extraordinaire effroi de cette traversée que naît le Manifeste de Ding ding dong dans lequel Alice, fée Clochette à l’assaut des “formules tragiques” créé un sillage vivant qui élabore le pari que la maladie de Huntington soit l’occasion de “faire pousser la pensée”. Un manifeste pour fédérer une constellation d’individus animés par la même tension vitale à fabriquer quelque chose qui n’existe pas encore. Ding dingue dong ! Trois notes comme trois sœurs, leur conjuration sonore quand elles ont trop peur de dire Huntington. Mais aussi, ding dingue dong ! Quand elles veulent en rire. Ou lui faire peur. NB. Si vous voulez en savoir plus sur l’association qui suit cette maladie, allez visiter leur site www.dingdingdong.org

À propos

Sophie-Anne Delhomme est l’autrice de deux romans : Sunset Paradise sorti en février 2022 aux éditions Exils, un portrait de Los Angeles inspiré par le poème de Langston Hughes “What Happens to a Dream Deferred” et Quitter Dakar en 2010, aux éditions du Rouergue nourri de son enfance au Sénégal. 

Diplômée des Arts décoratifs et de l’école Penninghen, en parallèle à l’écriture, elle s’est spécialisée dans les arts graphiques, plus particulièrement appliqués à la presse. Elle a longtemps été directrice artistique de Courrier international. Elle a également collaboré à L’Autre journal, un mensuel resté culte qui publiait des contenus littéraires et artistiques de qualité. Une approche qu’elle a explorée à titre personnel en créant et animant plusieurs journaux alternatifs.

Contact : sadelhomme@me.com