Quitter Dakar (publication originale)
Collection La Brune
Editions du Rouergue/Actes-Sud Editeurs associés, 2010
Quitter Dakar (seconde publication)
Collection Mondes en VF Editions Didier, 2012
lacauselitteraire.fr
Par Théo Annanissoh* (mars 2011)
Quitter Dakar, c’est en fait y revenir. Quitter, revenir, ces mots qui s’imposent ainsi d’entrée de jeu indiquent ce qui caractérise le roman de Sophie-Anne Delhomme : le mouvement. De bout en bout, c’est un va-et-vient permanent ; va-et-vient entre la France et le Sénégal, mais aussi allers et retours entre le présent et le passé, entre la réalité et l’imaginaire, entre un je et un il qui, alternativement, se relaient pour raconter. Roman tout en déplacements donc, sans agitation toutefois, mais en quête ; de quoi ? De la mère, de soi, de la vie qui fut la leur, au garçon et à la mère, dans ce pays d’Afrique.
Manuela, c’est le prénom de la mère. Elle est décédée en 1985. Littéralement – le cliché force la main pour ainsi dire –, elle a l’Afrique ou, si l’on préfère, le Sénégal dans la peau. Elle y vit avec son fils dans la maison du Point E et possède une boutique qui va faire faillite. C’est un personnage complexe, comme du reste tous les autres de ce beau roman. On hésite à la définir d’une expression qui pourtant, là aussi, semble s’imposer : mère irresponsable. Les nuits, souvent, le jeune garçon doit se débrouiller seul pour trouver le sommeil dans la grande maison, à peine veillé par une bonne pendant que la mère rejoint un amant dans un night-club de la capitale sénégalaise.
L’adulte qui revient ainsi sur les lieux de l’enfance se souvient calmement de chaque épisode. Par exemple de cette nuit où il sort de son lit, et finit par s’endormir dans le placard. Personne ne le cherche. Il sera réveillé par les bruits que font la mère et son amant en rentrant.
« L’homme l’avait reprise par la taille et l’avait entraînée en lui caressant les fesses. »
Le roman de Sophie-Anne Delhomme foisonne de ces détails d’une enfance bien particulière du fait de la personnalité d’une mère dont la passion pour cette part d’Afrique trouble et fascine. Mère « fantasque » et « solaire » comme la définit la quatrième de couverture ? Sans doute. Cette mère qui, pourtant, lorsque son garçon se cache de tous pendant des heures, crie et dit qu’elle « se tuerait si elle devait encore passer une nuit sans son fils » !
Rentrée en France en juin 1973 avec son fils, la mère, chaque année en avril, retournera seule au Sénégal passer une « quinzaine ». Retrouver Dakar lui fait un bien littéral. « Loin de Dakar, elle se fanait comme une fleur. Chaque année, elle économisait pour y retourner, elle en revenait vivante et mourait peu à peu jusqu’à l’année suivante. »
Des années après le décès de cette mère, le garçon, devenu adulte, déambule dans Dakar et ses environs, revisite ces lieux qui revitalisaient tant sa mère. Il retrouve les hommes et les femmes qui entouraient autrefois la mère. Rencontres presque toujours décevantes, troublantes en tous les cas, que le narrateur appréhende à juste titre, craignant sans cesse que – belle expression d’un sentiment ! – « quelque chose ne (lui) explose à la figure. » Quitter Dakar est un surprenant récit tout en sensibilité ; rien n’y est affirmatif ou vindicatif, même lorsque les personnages ou les souvenirs sont rudes, extrêmement rudes. C’est un récit de soi, de ses sentiments, forts, intenses, douloureux, fait avec une économie dans le style, une pertinence des mots qui donnent à ce premier roman un admirable cachet de réussite.—
*Ecrivain togolais né en 1962. Auteur de romans publiés chez Gallimard Continents noirs.
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La nostalgie fissurée
Par Lionel Manga (juillet 2010)
Un homme, « pâle résidu », arpente Dakar. Entre un « je » en propre, un « il » partagé et un « nous » douloureux, fissuré, c’est un revenant. En l’occurrence un Blanc qui revient en « pèlerinage » au lieu d’une partie de son enfance avec sa mère. Une Manuela qui est le personnage central, une absence pivot du premier roman de Sophie-Anne Delhomme. Le récit s’ouvre d’emblée sur un panorama qui donne froid dans le dos et, pour ainsi dire, donne le ton de la suite, comme une claque monumentale, dans cette chronique de la nostalgie irrémédiablement fracassée : « Il n’y a plus rien. Ou pire, d’affreuses plaies grossièrement pansées au béton armé. Rasés la paillote, le restaurant terrasse. Brûlés la décoration de palmes et de bougainvillées, les parasols, les chaises longues. Disparus l’aquarium aux langoustes, les serveurs en tenue blanche, le barman plein d’entrain. Enfuis les brillants convives. Crevés les lauriers-roses, les filaos. Défoncés les courts de tennis ». Bienvenue au club qui n’a rien de Méditerranée : zéro GO.
Manuela est une énigme ouverte qui « descendait tous les ans à l’hôtel de N’gor », un fleuron, « une quinzaine en avril ». Et puis « elle a cessé de venir » pour une raison toute naturelle : Manuela « était morte en France, au lieu d’être en avril sur ce rivage aimé » où lui revient seul, « sans elle, aujourd’hui ». Après qu’il eut « tout mis de côté » quand elle était décédée : chagrin, souvenirs, « le temps a passé » et l’envie lui est un jour venue « d’aller voir » dans ce fouillis d’une vie antérieure. Il a trouvé des « traces inertes », « des agendas, des lettres, quelques photos, [ses] dessins d’enfants » du temps où ils habitaient au Point E et que « la voix désolée du muezzin poissait ses rêves […] et tourmentait son sommeil ». Cette mère qui « aimait faire la fête, c’était jamais la dernière pour la java », avait acheté une chèvre pour lui tenir compagnie, qu’il baptisa René, du prénom de son grand-père adoré. Il est aussi « question d’un homme qu’elle aimait beaucoup et qui la rendait malheureuse ». Pâle-Résidu est en quête de protagonistes qui lui racontent cette mère disparue, aussi noctambule que fantasque. Un désir éperdu de reconstitution l’habite, comme un passage obligé pour faire le deuil de Dakar et tirer un trait sur la ville de Djibril Diop Mambety.
Autour de ce tandem mère-fils, l’auteure fait graviter une poignée de personnages fonctionnant comme autant de lucarnes ouvrant sur ce passé qui hante le pèlerin et colle à sa vie d’adulte. Entre le « vieux monsieur Licart, le short blanc, les chaussettes montantes » qui n’est pas retourné en France depuis belle lurette et dit vouloir « crever » là, Prudence, la bonne mystérieuse qui « avait ses humeurs », « était absente quelque fois », et le « taquinait pour le faire enrager » sur le chemin de l’école, un baobab squatté par un génie facétieux qui afflige ses victimes de mutisme, la petite fille des voisins : les Maréchal, Tierno qui y travaillait et le reconnaît dans la rue, l’invite chez lui, dans cette galerie, Vivi pour Vipère incarne quelque part une hypothétique rédemption, la possibilité pour Pâle-Résidu de « trouver le rêve de son histoire », et de tourner la page pour se retrouver avec « la vie devant lui » tout bonnement. Avec ce texte qui se déroule sur cent quarante et une pages distribuées en vingt-huit brefs chapitres, Sophie-Anne Delhomme signe là un petit livre attachant sur la mélancolie de rien n’est plus comme avant, pour peu que le lecteur se laisse prendre au rythme saccadé, haletant de cette narration se donnant souvent en mode intime, diary, et flash-back. Non sans laconisme teinté d’amertume, parfois.—
La quinzaine littéraire
Magies dakaroises
Par Marie Etienne (mai 2010)
Quand on connaît Dakar et qu’on y a vécu, on a le sentiment étrange, lisant ce livre, d’y retrouver exactement ses propres souvenirs – les lieux, les animaux, les plantes et les occupations, tout est exact, et similaire…
On est saisi d’un trouble dès la première de couverture. En haut, deux photographies presque identiques, un visage de femme, métisse, belle et souriante, qui fume une cigarette. Tout de suite, en dessous, collés aux photographies, le prénom et le nom de l’auteur. On associe évidemment les deux, on pense à une biographie.
Et puis, lisant, on s’aperçoit que l’héroïne est un héros, le narrateur, tantôt petit garçon, obligé de partir de Dakar, emmené par sa mère, la blonde Manuela, et tantôt l’homme jeune qui revient, après la mort de celleci, à la recherche de ses traces. Lesquelles le mènent à d’autres, à celles de Prudence, la Sénégalaise. Au croisement de ces deux femmes, une troisième, la fille de Prudence et de Licart, un “ toubab ” de Dakar, Viviane Véronique Deng, qui insiste volontiers sur les rapports de son prénom avec “ vipère ”. Elle cherche aussi Prudence, sa mère, dont le visage, l’auteur nous en informe, est en première de couverture.
Le récit, on le voit, est une quête d’identité construite avec rigueur, et que les dernières phrases du livre n’achèvent pas : “ … je vous cherche, madame, dans tous les quartiers, dans les transports et dans les squares… Tous les jours, je marche dans la ville et sa périphérie… ”.
C’est que, contrairement à ce que paraît dire le titre, on ne quitte pas Dakar. On le souhaite, on s’en va, en effet, et puis on y revient, par la pensée, ou en chair et en os. On y revient et on y cherche quelque chose d’essentiel : l’enfance, certainement, une ville prégnante, dans laquelle le garçon déambule et qui nous est, sinon décrite, du moins restituée avec fidélité : le “ Point E ”, le marché Sandaga, la place de l’Indépendance, le musée de l’Ifan, et ses abords, le marché artisanal de Soumbédioune, Rufisque, l’île de Gorée, la plage de N’Gor, des Almadies, le phare des Mamelles…
Ces lieux bien sûr sont habités, par des toubabs, qui restent, comme Licart, ou qui s’en vont, comme Manuela. Et par des Africains, domestiques des premiers (c’est le cas de Prudence, de Thierno), vendeurs à l’étalage, chauffeurs de car ou de taxi, voisins, gardiens, passants, une population présente, humainement présente, sans insistance, sans parti pris d’aucune sorte, au point qu’on se demande (et on revient alors à la quête ou l’enquête amorcée) qui a écrit le livre. Ce n’est pas la métisse, qui fume et rit, nous l’avons dit, d’ailleurs prénom et nom sont bien français. Et là encore, un trouble, et un indice. Le narrateur, petit garçon, jouait avec une fillette, une prénommée Sophie, comme l’auteur. Tiens ! Tiens ! C’est à la suite d’un drame initié par Prudence que l’un et l’autre s’en iront, retourneront en France.
Ayant dit tout cela, l’essentiel n’y est pas. Par exemple la qualité d’un romanesque très particulier, constitué de la réalité et d’autre chose qui s’infiltre, qui sourd des paysages et des événements. Les deux sont associés comme le sont les deux côtés d’une pièce de monnaie. Une “ autre chose ” qu’aucun mot ne peut exactement nommer ni rendre, qui tient de la magie, du fantastique, mieux que cela encore : qui est l’envers du visible, sa profondeur, et qui se manifeste si naturellement qu’on ne peut pas ne pas y croire. Qu’on subit les effets, pareils aux effluves d’un philtre, d’un crépuscule, d’une vapeur sur la mer, d’une rencontre fortuite, du charme violent de certaines femmes, surtout celles du triangle composé par les deux mères, Manuela, Prudence et Viviane la plus jeune, triangle dans lequel le narrateur se trouve captif.
De sorte que ce dernier est atteint par un mal, convoqué par un sort, que traduisent les deux phrases qu’il prononce, contradictoires et décisives : “ J’étais l’Afrique ” et “ Je n’étais pas d’ici ”. Une manière d’exprimer l’irréversibilité : on ne va pas innocemment vivre là-bas sans y laisser, à jamais, quelque chose de soi. Sans avoir échangé, avec ceux qui demeurent, peut-être une part de son identité ? —
Extrait
“ Le petit baobab paraissait bien embêté (raconte le petit garçon), il restait tout à fait immobile, sauf le bout de ses petites feuilles qui remuait gentiment. Un monsieur s’était assis sur lui, qui attirait les gens pour leur manger la cervelle. Prudence nous avait prévenus. Son père, un jour, en rentrant de son champ, en avait rencontré un qui l’attendait assis dans un manguier, avec des lunettes noires et une voix de griot. Le père de Prudence n’avait plus jamais parlé, ni à elle ni à personne, après qu’il eut croisé ce monsieur-là au retour du champ.
Mais pour nous c’était différent et nous le savions bien. Comme nous étions de France, nous les petits toubabs, ce monsieur ne pourrait pas sucer notre cerveau, c’était interdit par notre président. ”
Annexes
Leaving Dakar
Book description
Traduction Alison Anderson
A man in his thirties returns to Dakar long after leaving Senegal, where he lived as a child. His mother, Manuela, died several years earlier, and this “return to the land of his birth” is a sort of pilgrimage in search of a woman he remembers as charming and capricious. Who was she, in fact? Why, after moving away from Africa, did she go back to Senegal every year? In the course of his encounters with those who knew her, her son attempts to piece together their story. We accompany him on his nostalgic wanderings to the sands of Pikine, the restaurants of Les Almadies, the nightclubs of the city center or the lighthouse of Les Mamelles. He is also trying to find their Senegalese maid, Prudence, who has disappeared. His encounter with her mixed-blood daughter, Vivi, will take the narrator ever further into the complexities of his relationship with Africa. They immediately embark upon a passionate relationship and very quickly envisage returning to France together… The début novel of a Frenchwoman who grew up in Senegal, Leaving Dakar is a charming and precise evocation of the city of Dakar, its inhabitants, its landscapes and the places where a European presence still lingers. Sophie-Anne Delhomme describes the ambiguity of the status of the French who grew up in Africa, and the complexity of their relations with the Senegalese.
Quitter Dakar has been a featured novel at Columbia University’s Maison Française Book Club in New York City, where the author presented it to a full-capacity audience on October 28, 2011. The book was very well-received and generated passionate debates among the attendees. This good reception should bode strong interest among the larger American public.
Excerpt in English
Chapter 7
She hated shopping, so there was never much to eat when they lived at Point E. The houseboys were kind, but they changed frequently; there were some who stayed with him when she went out in the evening.
He would lie in her bed, nestled against something that held her odor. He pretended to be asleep when the houseboy stuck his head through the door to say goodnight. Some of them would go off and leave him all alone, he could hear the key turning in the lock. Others sat outside the house drinking tea, waiting for her to return. And then one day he decided to hide, because she was going out every night, and he wanted to go out to restaurants, too. No one looked for him, he fell asleep in the wardrobe. It was the laughter, the exclamations that woke him up. Manuela was laughing because she had just unearthed him in her clothes cupboard, huddled underneath the plastic garment bags where she kept her dresses. His mother was with a man, who was holding her and kissing her neck, her shoulders; she was whispering, and neither of them could stop laughing. It was the man who carried him to his bed. Manuela held their glasses, filled with ice cubes.
When she leaned over to tuck him in, he suddenly opened his eyes and hardened his gaze, to burn her with his eyes open in the darkness. Then the man put his arm around her and led her away, stroking her buttocks. He lay there with his eyes wide open, he even slept with his eyes open. That night, he had decided to keep his eyes open to frighten her.
Now and again she would send him to the street corner to buy something from the bana-bana: bread, canned goods, evaporated milk. If they both stayed home in the evening, they ate bread and jam and drank hot chocolate. Some of the houseboys would cook during the day, some red rice or chicken Yassa. She wasn’t interested, she didn’t eat a thing, she was watching her figure. A little girl at school had whispered into his ear, your mother is watching her figure. It seemed awfully complicated, this figure that his mother was watching in their life.
He thought the house felt too empty. Except for Manuela’s room. She collected perfume, scarves, shells and jewelry, and she hung them on branches she’d put here and there to decorate the walls.
To put on her make-up she would sit at a table covered with a long pink skirt that he liked a lot. He would hide underneath it when he was little, then come out, to play, barking between her feet.
The house often filled up with cardboard boxes, piled any old way in the living room. Manuela had a clothing shop and she received shipments from France. She would unpack the dresses and shoes to try them on before taking them to the shop. Toward the end, the boxes vanished. She had seamstresses in the town, she had them copy the designs from France.
Toward the end, instead of a houseboy, they had a woman working for them. She had a room in the house. Her name was Prudence. She came to pick him up every day after school. On the way home he would throw a tantrum because she refused to carry his schoolbag. She didn’t care, she walked along nonchalantly, teasing him to make him furious. When they came to their gate, she would take the bag from him and remark on what a heavy schoolbag it was, and what a strong boy he was for walking miles from school to carry his schoolbag home. Her mischievous laughter eventually got the better of his bad mood. After that they made cut-outs, or did some baking, and she showed him how to make necklaces out of seeds or pasta; he’d be able to look after his mommy just as well as a little girl could.
Manuela was very fond of Prudence, like a friend. She liked to say Be prudent, Prudence! He could hear them chatting out on the terrace, in the evening, Manuela’s cigarette glowing in the shadowy light.
Prudence stayed with them until their departure for France.
When they returned to N’gor the following year, Manuela told him that Prudence had gone back to the bush to visit her family. He left a postcard for her at the hotel. He drew a huge fish on it, a sunfish. And he wrote in his brand new handwriting, from the school in France: Prudence, you can make this fish into a lamp, to make your house pretty. She didn’t answer, and he never heard any more about her. He had forgotten about her.
Standing now outside the movie theatre on the Place de l’Indépendance, after this depressing visit, he promises himself he will try to find her. He needs to do it now, because his sorrow has been eating away at him ever since he left that bastard. Prudence had known them in Dakar, she would remember. She had seen that they existed, she’d be able to tell him.
And besides, Prudence had loved them, she would feel sorry for Manuela, she would share his sorrow. If he could find her, there would be two of them. Then he could leave having passed on the baton, a handful of ashes, a pinch of sand, tears as a memory.
Chapter 8
Licart remembered Prudence very well. Ah yes, how could you forget her: stark raving mad. Vermin. He had warned Manuela, the girl was throwing dust in her eyes. Like a spitting snake, exactly, the kind that spits poison in your eyes. You have to lure them with a belt buckle, or else that’s it. In your eyes and then it’s pitch dark. Find that witch? Impossible, she’d be dead somewhere, devoured by dogs.
By dogs? Licart used to feed sheep’s fetuses to his dogs back in the days when he had a farm at Bambilor, he’d get them from the abattoir on the road to Rufisque. He’d take the fetuses from the animals while the men were still cutting them up. He’d fill up the tubs in the back of his truck. When he got home it was a mad scramble, the dogs springing into the trunk the moment he opened the doors. They didn’t even leave him the time to unload, they were already onto the meat. They’d go wild. He had to use the whip to drive them off. Fourteen of them, not all at the same time, he’d had fourteen dogs, yellow ones, like the dogs in this country. And a menagerie too, somewhere along the Front de Terre road: hens, rabbits, kids, birds, a parrot, a mongoose. And monkeys, chameleons, an iguana and even a baby wart hog, who followed him everywhere.
Find that bitch? He was trembling with indignation.
I recalled that Prudence used to have her moods. There were times when she was absent, when her face went blank and her eyes turned inwards. I could toss my things at her, or try to scratch her, or shout swear words at her, she would not budge. She just said, You be quiet, you’re nothing to me. You are nothing to me. Defeated, I would go away again, raging mad, despairing. And then it was as if it were all forgotten, she’d come into my room singing some annoying song. Who’s going to feed the maggot who lives in there? She pointed to my stomach, the maggot who lives in there. The crisis had passed, I followed on her heels to go downstairs and eat my dinner of rice, blowing out my cheeks like Bouki the hyena in the story she was telling me. The story of Bouki the hyena who got caught because she was such a glutton, one time when she she’d been hiding at the table of the blind people, in the belly of their baobab.
I knew it would be pretty hopeless, trying to find Prudence. But the idea allowed me to stay on. I needed more time in Dakar. Ever since I got there, I’d been trying to close my fist around memories that slipped like sand from my fingers. Now that Prudence had made her reapparition, I had a purpose once again. To find Prudence. She now embodied, all to herself, the time we had spent in this land.
Here, in a dream, along the by-roads, the men talk and whisper messages. Men’s dreams making their way from village to village. You just have to wait, sitting under a tree until one day, when the noontime sun rings the contour of things with blood, the tree will be chosen by the wizards, djinns, and souls who wander the savannah. You just have to wait for them, under the tree where they choose to play the kora. Under the tree where they will perch to grant a wish.
He settled in town above the “Filfili Ranch” supermarket, in a short-term rental apartment for small-time businessmen. He thought he would leave things up to chance encounters, and decided not to make any decisions; every morning he would get up and tell himself that today something, someone, would help him progress with his search.
The morning of the first day he could not get out of bed, his body was dry and burning, his head full of overexposed images. Djinns turned their grimacing faces to him, baring teeth that were filed into triangles and oozed a stream of silvery saliva. He dreamt that the two women were waving to him from the far side of the river. Manuela, Prudence, together on the opposite shore, while he remained alone here on earth.
Three days went by, the fever abated, leaving him weak but lucid. He went out, euphoric for no apparent reason. The still brisk air of the morning, the cool shade of the big rugged trees along the Avenue de la République, in the distance the red guards camped outside the gilded gates of the presidential palace, the industrious calm of the early morning hour all reinforced his confidence and the conviction that he was heading toward something decisive.
He walked up the avenue to the cathedral, then took the avenue Lamine Gueye. Drawn by the crowd hurrying that way, he went in the direction of the Sandaga market, a vestige of neo-Sudanese architecture surrounded by a labyrinthine cluster of multicolored stalls. He turned down a street that was buzzing with the industry of sewing machines and, heedless to the voluble entreaties of the embroiderers, wove his way among the brilliant boubous set out on display right to the middle of the street. He then got lost in a maze of small courtyards and farmyards, wandering past makeshift shops, oilcloths, bicycle wheels, foam mattresses.
The morning progressed, the sun now spread a veil of dull heat while the city became dusty and noisy. Tired and sweating, he paused in the shadow of a corrugated iron awning next to a squatting woman who was selling lettuce, herbs, and little vegetables. He was sampling the freshness of her modest inventory when he noticed that a man with a distinguished air was coming his way.
Pushing a bicycle, dressed in a beige suit and an astrakhan cap and fine tortoise-shell eyeglasses, the man was drawing nearer, never taking his eyes off him.
Once he was within earshot he removed his cap to reveal a perfectly smooth skull, and gave a slight bow.
Bonjour, Monsieur, forgive me for bothering you, and you will pardon me if I am mistaken, but might you be the son of Madame Manuela?
A black clarity washed over me, dazzling. Huge bumblebees filled my skull, knocking against my teeth, against my ear drums, banging against my chest.
I nodded.
And how is Madame Manuela?
The man smiled, waited until I got my wits about me.
She is…My mother is…
I pressed my tongue against my dry lips.
My mother passed away, I’m here on my own.
The man’s expression was one of great consternation when he grasped the meaning of my words.
This is most unfortunate! Ah! He seemed discomfited, his cap in his hand, his eyes downcast, as he tried to digest the news. Ah! This is most unfortunate! A great misfortune! Ah!
His name was Thierno. He was Guinean and he had been a houseboy
for our neighbors at Point E. My mother had given him the goat when we left Dakar. They had corresponded, she had given him money for his family. She sent him photographs, of us, of me. He was grateful to her, and now he had recognized me.
He called out to a passer-by who was giving him a questioning look, and an animated discussion followed in Wolof between the passer- by, the street vendor, a bana-bana who had been dozing until now, an old man seated not far from there fingering his worry beads, and a motorcyclist who had stopped right next to us. They all looked at me, smiling. The vendor, with a twig in her teeth, punctuated their exchange of information with short bursts of laughter, and soon the group was joined by the cheerful faces of curious little children.
The motorcyclist began to speak, pointing at Thierno.
He said you have to go to his house. He’ll introduce you to his family.
Thierno gave a contented nod of the head, confirming his invitation.
He’ll send his nephew to guide you there. You must tell the taximan, Sicap Liberté, he’ll drop you off outside the stadium. His nephew will be there, he will guide you.—
In memoriam
Dakar, 1971. Le baobab de l’ellipse du Point E.